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(*) WEB 10.0 ( "o hace 10 años ya ... " )
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Le grand naïf de l’Internet
Pierre Restany (Paris, mai 2000 )
Au terme d'un parcours déjà vieux de plus de 30 ans, et que je me suis attaché à suivre depuis le début de son émergence, ma réflexion sur le travail de Fred Forest s'est opérée à plusieurs niveaux. Chaque constat a été pour moi l'occasion de mesurer l'envergure conceptuelle de la notion d'art à travers sa projection directe sur la trame vitale du tissu social. C'est toujours l'artiste en Forest qui m'a permis d'apprécier, par rapport à la pulsion expressive collective, l'évolution du domaine conceptuel de l'esthétique.
C'est en effet un seul et même artiste, Fred Forest, qui est passé de l'art sociologique à l'anthropologie télématique, en passant par l'esthétique de la communication. Fred Forest est apparu sur le panorama expansif de ce questionnement artistique au moment où l'Occident vivait le symptôme avant-coureur d'un changement radical de société et du système de production, c'est-à-dire mai 1968. C'est à ce moment-là que le rapport art-communication a changé à la fois de vitesse et d'amplitude. La communication, en fait, a acquis une nouvelle conscience de son territoire artistique, des droits et du devoir qui en résultaient : sa vertu critique et sa vertu d'éveil en ce qui concerne les critères humains et humanistes de la transmission d'un message gratifiant dans sa vérité et non plus dans sa beauté. Cette réflexion sur le caractère profondément humain et poétique de l'ensemble des dispositifs et des méthodes d'intervention sur le social était, bien évidemment, dans l'air du temps au début des années 70 et elle a constitué le moment fort des activités du collectif d'art sociologique qui a rassemblé Hervé Fisher, Fred Forest et Jean-Paul Thénot. Le passage de l'art sociologique à l'esthétique de la communication, qui se concrétise chez Fred Forest vers les années 1983, pose la barre de cette réflexion à un niveau supérieur. Un niveau qui exclut toute fracture, toute rupture dans l'évolution du questionnement artistique. Il s'agit chez Forest d'une suite logique, d'une adaptation fondamentale à la communication, qui se caractérise, dans les années 80, comme un moyen d'investigation du réel de plus en plus complexe, de plus en plus fluide et de plus en plus riche dans les multiples facettes de son expressivité autonome. Quand Fred Forest parle d'esthétique de la communication, il pose le problème d'une véritable morale du langage, d'une philosophie de l'action conçue en termes esthétiques. Les dispositifs humains sont projetés dans le social de la même manière que la poésie est projetée dans le langage. La communication relève de l'esthétique, non pas au niveau de l'apport référentiel, mais au niveau de la conscience critique : son message est de moins en moins conçu comme " beau " mais de plus en plus comme " vrai ". Passage capital que celui du beau au vrai. Du beau de l'esthétique canonique au vrai de la sociologie artistique, c'est-à-dire au vrai qui emprunte aux techniques de la communication tous les éléments structurels qui lui permettent de bâtir un système. Un système conçu à partir de dispositifs et de moyens stratégiques qui sont des apparences tendant à la diffusion de la vérité. L'esthétique de la communication correspond justement à ce passage d'un art de la représentation à un art de la présentation. L'activité esthétique de Fred Forest dans la communication consiste à assumer intégralement la logique opérationnelle de ses systèmes qui sont des dispositifs de présentation de la vérité. Et quand ces systèmes deviennent des réseaux d'une envergure planétaire, cette esthétique du vrai bascule dans l'anthropologie postindustrielle.
La pensée de Fred Forest a pris cette inflexion radicale au tournant des années 90. Il vient d'écrire un livre, " Pour un art actuel, l'art à l'heure d'Internet ", qui est à la fois une analyse évolutionniste et un manifeste d'ethnographie postindustrielle appliquée. Parlant du rapport art et technologie, ce livre présente une analyse fort significative. Les questions que Fred Forest se pose sont celles à la fois de l'entomologue et de l'ethnographe : " l'art qu'est-ce-que-c'est-que-quoi-donc ? ", " qu'est-ce qui change avec les technos ? ", " artistes, espèce en voie de disparition ? ". Ses procédés d'analyse et d'investigation du " Territoire de l'art à l'heure d'Internet " rappellent de façon frappante ceux qu'ont employés les nouvelles sciences humaines dès leur apparition durant la seconde moitié du siècle passé. On pense à Durkheim, à Mauss, à Levy-Bruhl, à Levi-Strauss. Et dans ce nouveau livre, quand Fred analyse de façon scientifique les fonctionnements et dysfonctionnements du milieu de l'art contemporain, il va droit au but et nous démontre qu'à l'heure de l'Internet tout un pan de l'art actuel, en tant que vecteur humaniste de la communication, a radicalement basculé du champ de l'esthétique dans celui de l'anthropologie postindustrielle. Sa longue réflexion dans ce même ouvrage sur " Un procès pour l'exemple ", illustre bien l'évolution logique de son parti pris moral. Sa philosophie de l'action axée sur le concept gratifiant de vérité n'est plus conçue en termes d'esthétique mais bien en termes d'anthropologie. Le glissement de terrain conceptuel chez Fred s'est produit encore une fois sans fracture, dans la fluidité évolutive des structures de la communication télématique. Art sociologique, esthétique de la communication et aujourd'hui anthropologie postindustrielle, la pensée morale de Fred Forest évolue en parfait synchronisme avec l'extension planétaire des réseaux télématiques de la culture globale : l'anthropologue et l'artiste, la main dans la main. Le grand mérite de Fred Forest ne réside passeulement dans ce glissement du terrain conceptuel de sa pensée. Il va tout naturellement au cœur des choses et assume intégralement le néo-primitivisme de notre univers télématique. Je salue en lui, au-delà même de l'analyste lucide et du voyant inspiré, la puissance de sa conviction vitaliste. Fred Forest est le grand naïf de l'Internet et il est fier de l'être. Cette fierté, que je salue, est à mettre entièrement à son crédit d'artiste.
Pierre Restany
& + :
GHERSWHIN HOTEL AND WHITE BOX NEW YORK
PERFORMANCES ET EXPOSITION FRED FOREST
Présenté par Ferdinand (Corte)
Crise mondiale, art et éthique
THE EXPERIMENTAL CENTER OF THE TERRITORY MANNATHAN AND CHINA TOWN
Entre le 13 juin 2009 et le 15 juillet 2009 Fred Forest, présenté par Ferdinand Corte réalise une série de conférences et de performances ayant pour support Second Life, le Gerswhin Hôtel et la Galerie non-profit dirigé par Juan Puntes.Dans un environnement représentant Wall Street et le drapeau américain sur Second Life l’artiste développe le propos suivant :« Le Centre expérimental du Territoire est un outil de réflexion critique politique, social, collectif, dont l’objectif reste celui de s’interroger et de se concerter sur la crise mondiales qui frappe de plein fouet la planète. Une crise dont l’origine est liée à des mécanismes spéculatifs, dont Wall Street représente le symbole emblématique ». Selon Fred Forest, les artistes à la faveur de cette crise doivent infiltrer les canaux d’information pour s’approprier de façon inventive les vecteurs de communication technologique. Ils doivent constituer des centres de résistance et d’action opposant, le Pouvoir fluide aux Pouvoirs durs, qui administrent notre société. Les artistes doivent commencer par s’efforcer de changer leur propre milieu, où la recherche du sens, de la beauté, du plaisir des sens et de l’esprit a fait place à une spéculation brutale, souvent avec l’aval d’institutions parties prenantes du système. Les artistes dans la société de l’Internet doivent devenir les acteurs du sens. L’outil original que Fred Forest propose sur Second Life met en œuvre une plate-forme d’échanges qui a pour but de recueillir, de générer et d’activer des propositions à distance. L’objectif étant celui de tendre vers un monde plus solidaire, un monde non tributaire de la seule recherche du profit comme finalité d’une société en crise. Le fonctionnement du dispositif pour une animation et participation publique sera assuré par une liaison à distance entre Ferdinand Corte à la White Box Gallery à New York et Fred Forest à Paris. Un groupe d’une quinzaine de d’artistes prend naissance à cette occasion pour poursuivre l’action dans le temps avec la participation du Théâtre de la mémoire.
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